10
2013
Voyageurs du Net : le tourisme alternatif
Kalagan et MikaĂ«l ont eu 2 parcours très diffĂ©rents. Le premier est blogueur et webmaster. Le second est journaliste. Après s’ĂŞtre rencontrĂ©s Ă Lille en 2008, ils participent au lancement de la start-up Music Story, encyclopĂ©die musicale en ligne de rĂ©fĂ©rence. MickaĂ«l y Ă©tait secrĂ©taire de rĂ©daction et chroniqueur musical. De son cĂ´te, Kalagan effectuait son stage de fin d’Ă©tudes. En 2009, ils emmĂ©nagent en colocation. Aujourd’hui, ils voyagent ensemble et militons pour un tourisme alternatif. Nous avons interviewĂ© MickaĂ«l.
Pourquoi vous êtes-vous lancé dans un blog sur le voyage ?
Le voyage nous a toujours titillĂ©s l’un et l’autre. Kalagan particulièrement après sa visite du Cameroun en 2009, qui fut un dĂ©clic pour lui. Moi après deux mois passĂ©s en Palestine Ă encadrer des adolescents d’un camp de rĂ©fugiĂ©s, Ă l’Ă©tĂ© 2004. J’avais le dĂ©sir de dĂ©couvrir l’AmĂ©rique latine depuis mon adolescence, ce que je remettais sans cesse aux calendes. Kalagan Ă©tait assez tentĂ© aussi, quand on en parlait lorsque nous Ă©tions en coloc. Les choses ont mis un peu de temps Ă se concrĂ©tiser, mais il nous fallait surtout un projet qui donne du sens Ă ce voyage, afin qu’il ne soit pas qu’une « consommation de paysages », comme cela est courant. Ma conviction politique, socialiste, fraternaliste, internationaliste, et le souvenir qui m’Ă©tait cher de ces ateliers Ă BethlĂ©em, tout comme chez Kalagan une première expĂ©rience d’enseignement dans un orphelinat kĂ©nyan de Nairobi, nous donnèrent envie de construire un projet afin de transmettre nos savoirs, nos compĂ©tences.
Je le dis et l’Ă©cris souvent : les luttes sociales de nos aĂŻeux et la sociale-dĂ©mocratie, d’ailleurs aujourd’hui menacĂ©, ont fait de nous Français et EuropĂ©ens de l’ouest, des privilĂ©giĂ©s, en regard d’une majoritĂ© des pays du reste du monde. Nous hĂ©ritons d’un niveau d’Ă©ducation, d’une libertĂ© d’expression et de pensĂ©e, de systèmes de protection sociale et sanitaire, que la plupart des pays du monde ont raison de nous envier… et que, par inertie et paresse civiques, ignorance ou ingratitude, nos peuples laissent dĂ©truire par leurs dirigeants ralliĂ©s au nĂ©olibĂ©ralisme, c’est-Ă -dire Ă la foi en la croissance, en l’Ă©conomie de marchĂ© et en la nĂ©cessitĂ© d’un État aux prĂ©rogatives limitĂ©es… dont les consĂ©quences destructives sur le monde ne me semble mĂŞme plus contestables.
Deux projets Ă©mergèrent donc : l’un consacrĂ© Ă la promotion de notre vision du voyage et du tourisme alternatif, le blog collaboratif Voyageurs du Net ; l’autre, une association destinĂ©e Ă enseigner le journalisme en français Ă des Ă©lèves apprenant le français dans le rĂ©seau des Alliances françaises ou bien dans des instituts de langue. Notre premier atelier a eu lieu Ă Quetzaltenango (GuatĂ©mala), de septembre Ă novembre 2012. Nous avons d’ailleurs publiĂ© plusieurs articles de nos Ă©lèves, et pas seulement sur VDN d’ailleurs, dont nous sommes très fiers en raison de leur qualitĂ©. Tous les articles rĂ©alisĂ©s dans ce cadre traitent du phĂ©nomène touristique – qu’il s’agisse d’articles en critiquant les excès, voire les fondements mĂŞmes, ou qu’il s’agisse d’articles promouvant d’autres formes de voyage – et d’Ă©cologie, les travaux permettant de toucher Ă des questions Ă©conomiques, politiques, sociales, etc.
Mais notre activité principale est centrée sur le blog Voyageurs du Net.
En quoi consiste Voyageurs du Net ?
Comme je l’ai prĂ©cisĂ© dans le premier Ă©ditorial de l’annĂ©e 2013, notre blog a une double vocation : prĂ©senter une parole critique, politique, analytique, sur le fait touristique, ses prĂ©supposĂ©s, ses lieux communs, ses rĂ©alitĂ©s mĂ©connues, ses abjections ; mais aussi et surtout prĂ©senter des façons de voyager alternatives aux grands opĂ©rateurs touristiques et aux centres de vacances, dont j’ai dit, dans un article sur CancĂşn publiĂ© sur Ragemag, tout le mal que j’en pense.
Nous avons vocation donc, Ă faire connaĂ®tre des projets communautaires et Ă©cotouristiques, des lieux mĂ©connus et insolites, Ă inciter les gens Ă sortir de leur zone de confort, d’une vie rĂ©pĂ©titive oĂą les dĂ©sirs de loisir comme tous les autres sont prĂ©fabriquĂ©s et ne laissent aucune place au danger le plus Ă©lĂ©mentaire, souvent le plus dĂ©risoire, qui est celui de la rencontre d’autrui. Nous avons commencĂ© Ă parler d’initiatives collectives qui s’avèrent politiquement exemplaires et inspirantes : des communautĂ©s qui prennent se rĂ©approprient les terrains de leurs ancĂŞtres, les prennent en charge, les dĂ©polluent, sensibilisent Ă l’environnement ; une association engagĂ©e dans la rĂ©habilitation d’une dĂ©charge illĂ©gale en forĂŞt tropicale ; des dĂ©marches de protection de la faune et de la flore (chimpanzĂ©s de Pongo, au Cameroun ; lagune aux crocos de la Ventanilla, au Mexique)…
Nous croyons aussi, en France, comme ailleurs, au bienfait des fĂŞtes et jeux populaires, des traditions. Nous avons ainsi parlĂ© d’une compĂ©tition estivale des plus drĂ´les : le lancer de tongs, qui a lieu chaque annĂ©e en Gironde. Dans un registre assez proche, nous publions en janvier un article de Kalagan sur un concours annuel anglais : une course Ă flanc de colline Ă la poursuite d’un fromage !
Je suis assez consternĂ© de la tendance de certains voyageurs Ă s’Ă©merveiller de l’« authenticité » de tel paysan d’un lointain pays, cependant que l’agonie de la paysannerie française et europĂ©enne ne lui cause pas un battement de paupières. De mĂŞme, on s’Ă©merveille sur telle tradition artisanale du Maroc, du Mexique ou d’Inde, sans rĂ©aliser que les artisanats et traditions europĂ©ens ont Ă©tĂ© dĂ©vastĂ©s par le capitalisme, l’industrie et l’attrait pour les valeurs libĂ©rales, avec notamment la concurrence de marchandises toc produites par des travailleurs sous-payĂ©s.
On sent que vous défendez des idées anti-capitalistes
Il faut ouvrir les yeux non pas seulement quand on voyage, mais les garder grands ouverts quand on revient. L’intĂ©rĂŞt que l’on porte Ă des propos de comptoir ailleurs, pourquoi ne l’a-t-on pas pour le bistrot de quartier ? Pourquoi ce qui est « authentique » ailleurs est considĂ©rĂ© beauf chez nous ? Je crois qu’il faut en finir avec le mĂ©pris des classes populaires et de ce qui reste encore de culture populaire et n’a pas Ă©tĂ© dĂ©truit par la culture de masse, celle qui vient d’en-haut, de ce territoire abstraits et sot des mĂ©dias, de MTV, et non des terroirs et des quartiers. Il y a souvent bien plus de bon sens, d’expĂ©rience et de pragmatisme dans des propos de comptoir que dans le PMU tĂ©lĂ©visuel et bourgeois tenu par Yves Calvi et nommĂ© « C dans l’air ».
Nous assumons donc pleinement une ligne Ă©ditoriale socialiste – au sens du XIXe siècle, c’est-Ă -dire anticapitaliste, encourageant l’autonomie collective, la fraternitĂ©, le don, le souci d’autrui –, populiste – au sens oĂą nous croyons au ressources de ce « bas peuple » que trente ans de mĂ©pris ressassĂ© dans les mĂ©dias nous ont appris Ă mĂ©connaĂ®tre et mĂ©priser, et Ă cataloguer de « beaufs ». Notre ligne Ă©ditoriale se veut une invitation non seulement au voyage, mais Ă penser le voyage autrement, donc sa responsabilitĂ© individuelle en voyage, son regard sur le monde lointain aussi bien que prochain. Un voyage dĂ©cent et non voyeur, comme c’est le cas du tourisme de la pauvretĂ©. Un voyage respectueux et conscient des enjeux environnementaux, et non irresponsable comme dans tous les centres du tourisme de masse. Un tourisme alternatif, en quelque sorte.
– Pourquoi avoir choisi des sujets assez variés ?
Parce que ! VoilĂ . En fait le voyage alternatif, c’est-Ă -dire alternatif au tourisme de masse, cela recouvre une diversitĂ© de possibilitĂ©s dont nous voulions rendre compte. Si on n’a pas d’imagination et de curiositĂ©, on achète son sĂ©jour de 3 semaines au Club Merde… On s’Ă©loigne temporairement d’une vie oĂą rien n’arrive qui ne soit quadrillĂ© par la production et la consommation, pour un espace oĂą rien ne peut arriver. Mais si on veut faire quelque chose d’un peu diffĂ©rent, il faut avoir un peu de curiositĂ© pour des pays sur lesquels les agences de tourisme ne se sont pas ruĂ©s comme une invasion de puces. Ainsi a-t-on parlĂ© de plusieurs pays d’Afrique (Cameroun, Kenya, Burundi…), largement mĂ©connus des touristes, ou de lieux inĂ©dits : les grottes de NaĂŻca au Mexique, tel hĂ´tel particulier du sud du Portugal, construit au dĂ©but du XXe siècle et laissĂ© Ă l’abandon depuis quelques annĂ©es, etc.
Vous êtes donc plutôt attiré par des pays peu connus ?
Certains veulent consommer du paysage, du soleil du pittoresque ou du must-have-seen, rentabiliser en un minimum de temps leur investissement. Dans certains cas, cela n’est pas forcĂ©ment mauvais. Dans le pire des cas, cela donne ces touristes qu’on peut voir Ă Paris (j’en parle pour y avoir vĂ©cu, mais le phĂ©nomène est le mĂŞme partout ailleurs), qui courent en une semaine du Louvre – pour se hâter de prendre une photo avec les doigts en V et un sourire idiot, devant une Mona Lisa dont on ne comprend ni admire vraiment la subtile, l’exigeante beautĂ© – aux Champs-ElysĂ©es, de la Tour Eiffel Ă Montmartre… et se faire vider le porte-feuille dans tous les attrape-couillons de la place, en pensant avoir vu de l’authentique… I love Paris ! Alors qu’Ă Paris, il y a tant de façons merveilleuses – et pas si coĂ»teuses – de passer un sĂ©jour vraiment diffĂ©rent. Il y a tant de musĂ©es mĂ©connus et qui mĂ©ritent la visite ; j’ai notamment parlĂ© du MusĂ©e des Arts forains, dans le XIIe arrondissement. Mais il y en a bien d’autres. Et sans parler des parcs, des rues et galeries Ă©tonnantes oĂą il est bon de se perdre au hasard de marches interminables, en toute pĂ©riode de l’annĂ©e…
On peut voyager au Maroc sans aller se claquemurer dans des clubs de vacances, simplement en ayant de la curiositĂ©, de l’imagination. On peut enchanter mĂŞme son environnement immĂ©diat, familier : c’est ce que font les amateurs d’exploration urbaine, qui visitent des friches industrielles, Ă©glises dĂ©saffectĂ©es, lieux abandonnĂ©s, dont le charme fantomatique a quelque chose de pĂ©nĂ©trant, qui donne Ă penser le dĂ©risoire et la fragilitĂ© des humains et de leurs constructions. On peut aller Ă CancĂşn et se vautrer dans la porcherie de sa zone hĂ´telière… mais on peut aussi aller dans la ville oĂą vivent les vrais Mexicains, et non pas ceux folklorisĂ©s pour l’agrĂ©ment des cons-sots-mateurs vacanciers, ou, mieux, descendre, Ă 6 heures de bus, dans un endroit plus calme et magnifique : la lagune de Bacalar.
Il existe encore mille façons de voyager, qui nous surprennent, pour le meilleur ou le pire. Le pire dans le cas du tourisme des bidonvilles, ou du tourisme ethnologique, qui font des pauvres et des tribus reculĂ©es, des objets de curiositĂ©s et sont en fait l’avatar des zoos humains, qu’on n’a que dĂ©localisĂ©s. Le meilleur dans les cas de voyages Ă vĂ©lo, de voyage Ă pied, de voyage en voiture Ă©lectrique, Ă cheval, de voyages participatifs… ou mĂŞme thĂ©matiques, de personnes passionnĂ©es : faune et flore, archĂ©ologie et culture, ascensions de volcan et randonnĂ©es, surf, etc.
Pourquoi avoir fait un blog communautaire ?
Nous avons simplement constatĂ© l’Ă©clatement, l’Ă©parpillement, la multiplicitĂ© de blogs de voyage, des associatifs et professionnels du voyage. Beaucoup de projets très intĂ©ressants, mais formant un archipel, un ensemble dĂ©suni, et peinant Ă se faire connaĂ®tre et reconnaĂ®tre. Nous nous sommes donc dit qu’il conviendrait de crĂ©er une plate-forme de visibilitĂ© pour ces divers projets, qui de façons très concrètes et diverses luttent pour promouvoir d’autres formes de voyage et de tourisme.
Nous avons tĂ´t eu la confiance de plusieurs professionnels du voyage : Sophie Paumard d’Heure Vagabonde, Pascale Petit de Human Trip, Enzo Schyns de Cyclocosmos Ă©tant les plus rĂ©guliers et motivĂ©s par notre initiative.
Nous partons du principe proverbial que l’union fait la force et que, partant, face Ă l’Ă©norme pouvoir de sĂ©duction et de propagande du capitalisme, tout en restant dĂ©risoirement petits face au mastodonte du tourisme de masse, nous pouvons Ă tout le moins Ĺ“uvrer Ă donner de la visibilitĂ© et une cohĂ©rence, disons un drapeau commun Ă cet archipel.
Combien de personnes travaillent pour ce blog ?
Il faut bien avoir conscience que nous lançons un site, avec un angle particulier, exigeant, qui signifie que nous devrons refuser des propositions – ce sur quoi bien des blogueurs-voyageurs sont moins scrupuleux, acceptant tout et n’importe quoi pour leur Ă©goĂŻste intĂ©rĂŞt : celui d’engranger de l’argent sans considĂ©rations morales pour voyager. On peut citer l’exemple d’un blogueur-parasite bien connu dans la blogosphère : Stefan Tanned, Ă©galement connu sous les pseudos Rock, Tanned ou Crabetan, et qui administre une dizaine de sites très mĂ©diocres sur des thĂ©matiques très variĂ©es, qui ressemblent davantage Ă une ferme de contenus destinĂ©s Ă provoquer du trafic (et donc des propositions tarifĂ©es) qu’Ă fournir une information de qualitĂ©. RĂ©sultat, symptomatique du capitalisme libĂ©ral contemporain : on fait de la merde en quantitĂ©, on ferme les yeux sur la qualitĂ©… et on empoche l’argent.
Nous, notre vision est bien plus exigeante et c’est pourquoi, pour l’heure, nous consacrons nos Ă©conomies au lancement de ce projet. C’est un travail Ă temps plein, mais ce n’est pas un travail qui rĂ©munère, pour l’heure. J’invite d’ailleurs tous ceux qui croient que gagner de l’argent en administrant un blog de voyage est une chose facile Ă vraiment reconsidĂ©rer les choses. La blogosphère du voyage a parfois des airs de far west et de ruĂ©e vers l’or. Administrer un blog, l’alimenter, le faire connaĂ®tre, acquĂ©rir du trafic et, des revenus publicitaires ou autres, est une chose extrĂŞmement difficile. Quiconque envisage de devenir un nomade digital devrait imaginer la rĂ©alitĂ© de ce travail : 5 Ă 8 heures de travail quotidien 5 jours par semaine, dans des chambres d’hĂ´tel Ă la connexion parfois approximative… S’il n’y a pas la passion et le goĂ»t de communiquer, si le seul objectif est l’argent, cela ne sert Ă rien de se lancer.
Comment voyez-vous l’avenir de votre blog ? Quels sont vos futurs projets ?
Nous allons travailler cette annĂ©e Ă amĂ©liorer notre visibilitĂ© et notre rĂ©fĂ©rencement, Ă conquĂ©rir un lectorat plus nombreux et qui partage nos convictions et notre curiositĂ©, Ă renforcer les liens avec les professionnels et associatifs du voyage et Ă Ă©tendre notre communautĂ© de blogueurs rĂ©guliers ou ponctuels. S’ensuivra la question de la monĂ©tisation, qu’il est encore trop prĂ©coce pour aborder sans ridicule.
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Bonjour et merci Info Tourisme pour cette intervioĂą, qui nous a permis d’exposer notre ligne Ă©ditoriale, nos convictions, notre vision du tourisme alternatif et du voyage en gĂ©nĂ©ral.
J’invite les lecteurs qui partagent nos convictions (ou certaines d’entre elles) Ă venir nous lire et peut-ĂŞtre Ă contribuer : par des commentaires ou propositions d’articles.
Le tourisme alternatif peut Ă©viter la masse mais il faut pour cela qu’il existe des systèmes alternatifs pour inciter les gens Ă sortir de chez eux et des sentiers battus. Le site Airbnb est un bon moyen de se lancer dans l’aventure. Il permet de louer des chambres ou des appartements entiers appartenant Ă des gens comme vous et moi. C’est beaucoup moins cher qu’un HĂ´tel et vous avez la chance de discuter avec des gens qui connaissent bien leur ville et leur pays.
Je trouve le site Voyageurs-du-net très bien pensé. Je suis auteur moi-même depuis une semaine.
Le thème autour du tourisme responsable me permet de m’exprimer sous un autre angle que sur mon propre blog. J’ai d’ailleurs Ă©crit l’article concernant le tourisme sauvage au PĂ©rou, en lien sous le premier commentaire de Mike.
Ce blog est une belle initiative.